MoL : Chapitre 61
MoL : Chapitre 63

Chapitre 62 — Mauvais usage

 

À l’intérieur de la chambre noire sous Cyoria, Zorian était installé, jambes croisées sur le sol, les yeux fermés. Devant lui flottait une énorme sphère aqueuse dont la surface était calme et lisse ; aucune perturbation ne venait en troubler le calme. Autour d’elle orbitaient de plus petites sphères, chacune suivant sa propre orbite tout en parvenant à ne pas se percuter.

Sans prévenir, un morceau de mana cristallisé fila dans les airs et transperça l’un de ces petits satellites pour finir sa course dans la sphère centrale. Le système entier trembla et ondula pendant un instant, menaçant de s’effondrer.

Mais tout alla bien. Après quelques secondes, Zorian parvint à en regagner le contrôle. Bientôt, la seule preuve de l’impact ne résidait plus que dans les morceaux de cristal de mana flottant au centre de la grosse boule, et deux des plus petites qui étaient entrées en collision avec celle, centrale, qu’ils ne devaient pas toucher.

Zorian ouvrit les yeux et jeta un coup d’œil vers Zach.

— On s’ennuie tellemeeeeeeeent… soupira ce dernier en exagérant l’effort, avant de lancer nonchalamment un autre morceau de cristal vers la sphere.

Zorian accorda temporairement une partie de sa concentration au projectile, en prit le contrôle télépathiquement et le renvoya aussi vite à l’expéditeur. Ce qui n’aboutit à rien, bien entendu. Zach leva simplement la main pour l’attraper avec aise.

Zorian secoua la tête, savant mélange d’exaspération et d’amusement. Dix jours à peine s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient mis les pieds dans la chambre noire, et Zach était déjà sur le point de perdre la raison.

Il se concentra à nouveau sur l’eau qui flottait devant lui l’espace d’un instant, faisant fusionner toutes les petites masses de liquide en une seule et même forme qui alla couler doucement dans la petite citerne de laquelle elle venait. Dix secondes plus tard, tout avait disparu et il ne restait là qu’un morceau de mana cristallisé humide. Zorian relâcha son emprise, le laissa choir et l’attrapa au vol avant de se tourner à nouveau vers son compagnon.

Pour dire la vérité, même Zorian trouvait la situation difficile à supporter. Ils étaient prisonniers dans ce qui était l’équivalent d’un petit appartement, n’avaient virtuellement aucune intimité, et l’absence du cycle jour/nuit perturbait leurs habitudes corporelles, le sommeil en particulier. Il sentait qu’il pouvait comprendre ce groupe qui avait fini par voir ses membres se massacrer les uns les autres.

Quand bien même, ils devaient passer par là, et le savaient tous deux. La situation était compliquée, mais ils accomplissaient des choses. Zach passait le plus clair de son temps à lentement affiner sa conscience et ses barrières mentales, testant de temps à autre ces dernières contre des attaques télépathiques aléatoire de Zorian. Lorsqu’il ne s’adonnait pas à ça, soit il réfléchissait à un moyen de se distraire, soit il tentait d’aider Zorian à compulser la tonne de livres qu’ils avaient fait entrer dans la chambre noire. Ces textes avaient été, pour certains, volés des mains de cultistes de haut rang, récupérés, pour d’autres, des lieux qu’ils avaient attaqués lors de leur recherche pour le sort de simulacre, récupérés dans l’ancien camp Aranea sous la ville ou simplement achetés dans diverses librairies. Zach n’avait pas l’âme d’un chercheur, mais Zorian appréciait l’effort.

Quant à Zorian lui-même, il passait le plus clair de son temps le nez dans ces volumes lorsqu’il ne pratiquait pas d’exercices de mise en forme du mana ou qu’il n’avait pas l’esprit concentré sur la formulation de sorts. Il ne pouvait bien entendu pas s’adonner totalement à cette dernière dans l’enceinte de la chambre noire dépourvue de mana ambiant et des matériaux nécessaires – sans parler des dangers inhérents aux essais magiques dans un espace confiné – mais une grande partie de ce domaine était théorique.

— Si tu t’ennuies tellement, pourquoi ne termines-tu pas de lire les parchemins que je t’ai donnés plus tôt ? demanda Zorian tout en drainant lentement le mana présent dans le cristal au creux de sa main.

Comme la chambre noire était isolée du monde et qu’ils avaient déjà utilisé tout le mana ambiant entré avec eux, les cristaux étaient désormais la seule source de mana à disposition.

— Ugh, grogna Zach. Je t’ai déjà dit que je n’aimais pas vraiment lire ?

— Oui, soupira Zorian. De nombreuses fois.

— Eh ben, je te le redis encore, grimaça Zach. Je n’aime pas lire. Et j’aime encore moins lire les élucubrations mystiques à rallonge écrites par des cultistes adorateurs de démons.

— Les Primordiaux ne sont pas des démons, corrigea Zorian.

— On s’en fout, lâcha Zach en lançant à nouveau vers Zorian le cristal qu’il tenait toujours.

Zorian tenta d’attraper l’objet de sa main libre, mais était bien moins habile de celle-ci, et aurait passablement échoué… s’il n’avait pas triché un tout petit peu en altérant la trajectoire du projectile pour que celui-ci touche sa main. Il lança le cristal vide vers Zach, visant délibérément sa tête, et celui-ci l’attrapa malgré tout sans incident. Zach avait-il toujours été si précis ? Ou bien était-ce le résultat d’une pratique à rallonge durant tant d’années ?

— Je commence à me demander si ces papiers de cultistes sont d’une quelconque utilité, de toute façon. Je ne crois pas que nous ayons trouvé quoi que ce soit jusqu’à présent.

— Eh bien, au moins, ils fournissent les explications sur la magie du sang les plus compréhensibles que j’ai vues, y compris de vrais guides et instructions, commenta Zorian en attrapant un livre à la couverture de cuir brun sans titre de la pile derrière lui.

Le livre n’avait rien de particulier, mais après y avoir insufflé du mana en un schéma particulier, le contenu des pages blanches se révélait.

— Qui sait combien de temps il nous aurait fallu pour acquérir ce genre d’expertise illégale, autrement ? ajouta-t-il.

Zach le regarda en silence.

— Quoi ? fit Zorian en levant les sourcils.

— Magie mentale, magie de l’âme, et maintenant magie du sang, soupira Zach. Essayes-tu de devenir le plus sinistre possible ?

— Qu’est-ce qui te fait penser que je désire apprendre la magie du sang ? rétorqua Zorian en levant un sourcil. Je veux dire, tu as raison, mais qu’est-ce qui m’a vendu ?

— Tu veux dire, mis à part le fait que tu as déjà totalement potassé tous ces livres trois fois ? Écoute, si tu es intéressé par l’idée, je suppose qu’il doit y avoir plus au sein de cette magie que simplement poignarder les gens et les faire saigner à mort, n’est-ce pas ?

— En effet, acquiesça Zorian. Il y a techniquement trois voies à suivre, dans la magie du sang. La première consiste à utiliser une amplification de puissance afin d’améliorer les sorts au moment critique. Je n’ai pas besoin de le préciser, ce n’est pas très bon pour la santé. La force vitale est critique pour notre santé, là où notre mana ne l’est pas. Même une toute petite ponction dans ta force de vie t’affaiblira pour un temps bien plus important que si tu puisais dans tes réserves de mana. La force de vie ne se régénère pas aussi rapidement qu’on le croit.

— Huh, marmonna Zach, perdu dans ses pensées. On dirait ce qu’il se passe lorsqu’on tire sur le mana brut ambiant pour palier un manque de mana personnel, simplement plus désirable parce qu’on risque uniquement sa santé physique et non la santé mentale également.

— C’est un peu ça, oui, abonda Zorian. Pour autant que je le sache, tirer sur la force vitale n’a presque que des avantages par rapport au mana brut ambiant.

Presque ? nota Zach.

— Eh bien, il est supposément plus simple de te suicider en ponctionnant ta force vitale qu’en utilisant le mana ambiant, admit Zorian. Malgré ça, les risques sont acceptables, selon moi. Spécialement pour nous, avec notre capacité à se défaire de tout dégât physique.

— Mais pouvons-nous simplement annuler ces dégâts ? grimaça Zach. Comment peux-tu être sûr que ce ne sera pas un problème ?

— L’entraînement spécial que me fait suivre Alanic consiste essentiellement en une attaque sur ma force vitale, expliqua Zorian. La plupart des plus gros symptômes disparaissent en quelques heures, mais les plus petits, plus pernicieux, durent pendant des jours. Je me fatigue plus facilement, perds mon appétit, souffre de crampes sans raison, et ainsi de suite.

Zach sembla prit au dépourvu.

— Tu n’en as jamais parlé, dit-il.

— Je ne suis pas du genre à chouiner, fit Zorian en secouant la tête. C’est un petit prix à payer pour ce que je reçois en retour. Peu importe. Alanic m’a poussé plutôt sévèrement le mois précédent, et les effets secondaires n’ont jamais vraiment eu le temps de disparaître totalement. Au lieu de ça, ça allait de mal en pis, pas au point de me handicaper, mais c’était difficile à oublier. Par contre, quand l’itération a pris fin, aucun de ces problèmes ne m’a suivi.

— Et maintenant ? demanda Zach en fronçant les sourcils. Tu te sens malade ?

— Pas du tout. Je me porte très bien.

— Bien, conclut Zach. Même si tu peux te rétablir physiquement, il ne peut pas être bon pour ton mental de passer un mois complet épuisé et à avoir mal.

Zorian soupira en songeant à tout ça. C’était… un bon argument.

— Qu’en est-il des autres voies de la magie du sang ? reprit Zach après un moment, tirant Zorian de ses pensées.

— C’est juste. Les autres méthodes, se souvint Zorian. La deuxième façon est sans doute la plus répandue. Je dirais même tristement répandue. Il s’agit simplement de tuer des gens lors de rituels afin d’extraire leur force de vie, alors utilisée pour lancer des sorts. Généralement, l’invocation de démons.

— Quoi ? Pourquoi l’invocation de démons ?

— Lancer des sorts à l’aide du mana de quelqu’un d’autre est compliqué, expliqua Zorian. Ce n’est pas toxique comme le mana ambiant, mais le mana d’un autre est extrêmement difficile à façonner et contrôler. C’est encore plus vrai lorsqu’il est extrait d’une personne par la force. Ainsi, utiliser la force de vie d’une personne suit la même logique, mais en pire, car la force de vie a un potentiel bien plus important que le mana. Si tu veux faire quoi que ce soit d’utile avec une force de vie volée, tu vas devoir préparer un long rituel complexe. Il est beaucoup plus simple de simplement invoquer un démon avec ton mana et utiliser la force de vie en guise de paiement pour sa coopération.

— Je pensais que les démons demandaient des âmes… ? nota Zach.

— Ils acceptent les deux, et bien d’autres choses encore… fit Zorian en haussant les épaules. Je crois que ça dépend du démon, au final.

— Bon, ok. Peu importe, trancha Zach, clairement peu intéressé par cette partie de la discussion. Comme la première méthode est propre mais situationnelle et que la deuxième a l’air juste aussi horrible que ce que j’imaginais, je suppose que la troisième et dernière méthode est celle qui t’intéresse ?

— Tout à fait. Cette voie de la magie du sang s’intéresse aux améliorations rituelles, expliqua Zorian en arrivant enfin à ce qui l’intéressait, une étincelle dans les yeux.

Il se lança alors dans une élaboration rapide de la chose. Les rituels d’amélioration étaient complexes et permettaient d’accorder à la cible une amélioration permanente. Une force surhumaine, une régénération rapide, des capacités de vol, de souffle de feu, la capacité inhérente à voir le mana… Il y avait tant de possibilités qu’il était ridicule de vouloir en faire une liste à ce moment.

Il y avait naturellement un prix à payer, sinon quoi il s’agirait d’une méthode largement connue et répandue. Tout d’abord, la sécurité n’existait pas dans un tel rituel. Tous étaient dangereux et compliqués, et la moindre erreur pouvait tuer, paralyser ou rendre fou – faites votre choix. Deuxièmement, ce genre de rituels transformait effectivement la cible en une créature magique… et les créatures magiques avaient besoin de mana pour vivre.

Toute créature magique avait besoin de mana ambiant afin de simplement rester en vie et alimenter ses capacités magiques. Plus elle était puissante, plus le niveau de mana devait être important afin de garantir une survie bête et méchante. S’aventurer dans une zone plus pauvre en mana ne la tuerait pas immédiatement, mais elle se verrait s’affaiblir lentement avant de disparaître. C’était la raison principale pour laquelle les monstres les plus puissants vivaient au fond du donjon et n’en sortaient pas pour semer mort et destruction à la surface : ils crèveraient littéralement de faim, hors des zones riches en mana.

Un humain, peu importait la façon dont il pouvait acquérir des capacités magiques, devait également payer le prix pour rester en vie. Une portion de son mana était définitivement perdue, utilisée de façon permanente comme carburant afin de maintenir leur nouvel état. En d’autres termes, les réserves de mana voyaient leur capacité maximale diminuée.

C’était un lourd tribut, spécialement pour un mage ne possédant que des réserves initiales inférieures à la moyenne tel que Zorian. Les mages intéressés par ce genre de rituel devaient y réfléchir à deux fois et choisir l’amélioration idéale, avant de s’assurer que les bénéfices en valaient le prix.

Cela dit, tandis que le prix devait être payé… il n’était pas gravé dans le marbre. Selon le niveau de sophistication du rituel, la qualité des matériaux utilisés et la compétence du mage qui conduisait le rituel, il pouvait arriver que cela ne coûte que la moitié du prix, ou même dix petits pourcents.

La magie du sang, par ses interactions avec la force de vie d’une personne, pouvait permettre l’intégration profonde d’une capacité magique dans un être vivant. Si bien, en réalité, qu’elle pouvait devenir héréditaire et créer une lignée. Certaines des lignées les plus fameuses étaient nées de la sorte.

Utiliser la magie du sang afin d’intégrer une amélioration de façon permanente dans une lignée de la sorte rendait une procédure déjà dangereuse encore plus risquée… mais clairement, le jeu en valait la chandelle.

Il y avait toujours un prix, bien entendu. Même à l’aide de la magie du sang, Zorian devrait malgré tout abandonner une partie de ses réserves de mana afin d’acquérir une amélioration magique permanente. Cependant, si le prix était réduit de façon drastique, Zorian n’était plus très enclin à ignorer la possibilité de façon nette at systématique.

— Ce n’est pas une priorité, bien sûr, finit-il. Mais je veux clairement expérimenter tout ça à l’avenir.

Zach fit claquer sa langue, insatisfait.

— Je dois dire que je ne suis pas très fan de cette idée, dit-il ouvertement. À chaque fois que je pense à la magie du sang, l’image de ces gosses en cage me revient à l’esprit…

Zorian frémit à ces mots. La scène avait laissé une impression encore plus forte chez lui.

— Mais je te fais suffisamment confiance pour croire que tu ne t’abaisseras jamais ça ce niveau de dépravation, ajouta Zach de façon hâtive. Juste… Reste à l’écart de ces fous qui sacrifient des gens et invoquent des démons, ok ?

— Évidemment, approuva Zorian, un peu calmé.

Il avait tout d’abord voulu faire remarquer à Zach que celui-ci pouvait également bénéficier de ce genre d’amélioration, compte tenu de ses immenses réserves de mana, mais décida qu’il n’était peut-être pas encore temps de soulever ce point.

 

___

 

Zorian feuilleta les pages d’un livre décrivant des exercices exotiques de mise en forme du mana, à la recherche de quelque chose qui lui offrirait un challenge… et soupira en se rendant compte que rien n’était à la hauteur. La plupart de ce qui était proposé était dément, cela dit, même pour lui. Il tenta de se souvenir de l’endroit où il avait récupéré ces livres pour y retourner plus tard.

Après quelques secondes, ça lui revint. C’était l’un des livres récupérés de la salle du trésor Aranea. Ils avaient également tenté de pénétrer par la force dans cette pièce au plafond où les vrais trésors étaient gardés, mais en vain. Malgré les compétences grandissantes de Zorian face à des pièges magiques, tous leurs essais n’aboutirent qu’à chaque fois à la destruction du contenu de la salle, provoqué par le système de sécurité magique.

Peu importait. Il finirait par trouver le moyen d’entrer. L’installation était plutôt bonne, mais ce n’était plus un labyrinthe inconnu d’effets magiques à ses yeux, comme ç’avait pu l’être. Il était certain qu’il pouvait découvrir comment désarmer le système de sécurité en cinq ou six essais supplémentaires.

— Pourquoi est-ce que tu t’emmerdes encore avec des exercices de façonnage du mana ? lui demanda Zach, sans même prendre la peine de le regarder, trop occupé à jongler avec un grand nombre de cristaux de mana pour lui prêter le moindre coup d’œil.

Ce type aimait vraiment se donner en spectacle.

— Parce que je n’ai toujours pas atteint la limite de mes capacités dans ce domaine, répondit simplement Zorian, comme s’il s’agissait de la chose la plus évidente au monde.

— Zorian, tu commences à devenir meilleur que moi en mise en forme du mana, soupira Zach. Et je suis assez bon pour maîtriser plus ou moins tous les types de magies. Y compris certaines spécialités qui demandent une dextérité hors du commun, comme la médecine magique. Qu’est-ce que tu espères accomplir en devenant aussi doué, sérieusement ?

— On ne peut jamais être trop bon dans ce domaine, ne flancha pas Zorian.

— Tu as passé trop de temps autour de Xvim, toi. Ce type t’a lavé le cerveau.

— Chaque progrès, si mineur soit-il, signifie que je dépenserai moins de mana pour lancer mes sorts, expliqua alors Zorian. Pour un type aux réserves basses comme moi, chaque goutte de mana est précieuse. Tout le monde ne peut pas être un monstre inépuisable comme toi, Zach.

— Putain, ouais ! Je suis le seul aussi incroyable que ça ! éclata d’un coup Zach en gonflant le torse d’une manière exagérée ; malheureusement pour lui, cela lui fit perdre le contrôle sur les cristaux de mana avec lesquels il jonglait et ceux-ci s’éparpillèrent au sol. Oups.

Zorian renifla, amusé.

— As-tu trouvé des indices concernant tes réserves de mana ? demanda Zorian avec curiosité. Il doit y avoir une raison pour laquelle tu es si différent des autres à ce sujet.

— Malheureusement, non, répondit Zach, dépité, passant par-dessus les éclats de cristaux au sol pour venir s’asseoir près de Zorian. Personne, parmi tous les experts que j’ai consultés, n’a su m’expliquer comment ça peut être possible. La plupart pensent que c’est une espèce d’effet secondaire non-documenté de la lignée Noveda. Et quand bien même, ce serait le genre à ne surgir que rarement et sans régularité. Autrement, les ennemis de notre Maison l’aurait remarqué par le passé.

— Je suppose qu’il n’y a aucune chance que tu sois vraiment très, très chanceux ?

— C’est peu probable, pouffa Zach. Je suis sûr que tu as remarqué que mes talents en façonnage du mana ne sont pas vraiment pires que les tiens, malgré l’immense disparité entre nos réserves de mana.

— Bien sûr, acquiesça Zorian. J’ai supposé qu’il ne s’agissait là que de décennies de pratique.

— Hah. Peut-être, mais ce n’est pas que ça. Le fait que j’ai été capable de suivre le programme de l’Académie, même avant la boucle temporelle, coupe plus ou moins court au côté chanceux. Je possède une magnitude 50, mais je peux façonner mon mana comme si ma magnitude était de 25. C’est trop… pratique pour être naturel.

— Hmm, ouais, marmonna Zorian en réfléchissant. Pourtant, une magnitude de 25, ce n’est pas tout petit. Je suis surpris que tu puisses atteindre ce niveau de compétences compte tenu ton niveau initial.

— J’ai eu beaucoup de temps pour encadrer tout ça, fit remarquer Zach. En considérant que tu as réussi à me rattraper en à peine cinq ans, je ne trouve pas ça si impressionnant. Particulièrement parce que mes compétences ont atteint leur point culminant, tandis que les tiennes ont encore une marge de croissance inconnue.

— Je suis sûr que Xvim serait capable de trouver quelque chose si tu lui demandais des exercices, lui fit miroiter Zorian avec un sourire narquois.

Zach lui répondit par une grimace avant de soudain prendre un air pensif. Il continua à observer Zorian pendant quelques secondes, faisant monter un sentiment de malaise.

— Quoi ? finit par craquer Zorian.

— Tu sais, si tu es vraiment si obstiné à pousser tes talents de mise en forme du mana, tu devrais te pencher sérieusement sur la magie médicale. Ou au minimum, le côté diagnostic. De nombreux sorts de diagnostic analysent l’état de ta magie, et pas uniquement celui de ton corps. Tu pourrais utiliser cette méthode pour cartographier le flux de mana dans ton corps et obtenir une meilleure image de tes limites…

Et ça avait du sens ! Enfin, plus ou moins. Zorian possédait déjà un ressenti plutôt correct de son mana grâce à l’entraînement de Xvim, mais cette idée avait tout l’air d’une nette amélioration à ce sujet.

— Peut-être une autre fois, admit-il en secouant la tête. C’est intéressant, spécialement si je compte m’investir sérieusement dans la magie du sang, mais ça ne colle pas avec mon plan actuel.

— Nous avons un plan ? se moqua Zach, à moitié surpris tout de même.

— Ok, alors, c’est un plan vraiment très bancal, avoua Zorian. Mais il existe, au moins. Quoi, tu veux que je te fournisse une explication pas-à-pas ?

Ils décidèrent de prendre quelques heures afin de se reposer et de souffler un peu. Ils jouèrent aux cartes et à des jeux de plateau, échangèrent des histoires et participèrent même à un concours de dessin. Malheureusement, nul ne peut décider quel portait de l’autre était le mieux réalisé, aussi déclarèrent-ils le match nul.

Il leur restait dix jours à tirer. Zorian ne regrettait pas leur séjour le moins du monde, mais qu’est-ce qu’il allait être content d’enfin sortir !

 

___

 

— Finalement ! hurla Zach en tournant sur lui-même, bras tendus vers la canopée de la forêt dans laquelle ils se trouvaient. Finalement, après des années d’emprisonnement !

— Trente jours, Zach. Trente jours.

— Qui ont eu l’air d’années ! continua Zach, têtu. Merde, je n’aurais jamais imaginé que simplement voir quelques arbres pourrait me rendre si heureux ! Regarde, Zorian, des arbres… Des ARBRES !

Zorian se mit à sourire, mais garda le silence. Lui aussi était ravi d’être sorti, mais il n’allait pas non plus dignifier la scène trop dramatique de Zach par une réponse. Et en retour, comme s’il ne demandait qu’à provoquer une réaction, celui-ci s’approcha d’un arbre et l’enlaça.

Zorian s’arrêta de marcher et observa la scène avec amusement, se demandant combien de temps Zach allait continuer ce petit jeu. Spécialement à cause de cette colonie de fourmis voyageant le long du tronc, et apparemment peu ravies de l’intrusion de Zach au pas de leur porte.

Soudain, ce dernier s’éloigna furieusement de l’arbre en gesticulant, marmonnant des insultes et frottant ses vêtements. Zorian ne parvint pas à résister et éclata de rire face aux malheurs de Zach, avant de bondir en arrière avec brio lorsque Zach tenta de se secouer dans sa direction.

— Enflure, renifla-t-il avec mépris, finissant de se débarrasser de quelques fourmis tenaces.

— Allez, quoi, lui rit Zorian au nez tout en lui faisant signe de le suivre. Nous ne sommes pas loin de chez Alanic. Une fois que nous lui aurons donné le rapport que nous lui avons préparé dans la chambre noire, on pourra enfin crier de joie et se sentir libres, ou ce que tu veux.

Pendant leur mois passé en internement, Zach et Zorian avaient pris le temps de compiler toutes les informations importantes glanées dans les textes de cultistes. Zorian avait l’intention de les suivre en personne, bien entendu, mais il ne faisait pas de mal de les donner au prêtre également. Peut-être qu’aborder le problème de deux côté différents pourrait être plus efficace.

— C’est tentant, lui dit Zach après un moment, le suivant de près. Mais je choisis où. Sans vouloir t’offenser, mais si on doit fêter quelque chose, tu n’as aucune idée de la façon de prendre du plaisir.

— J’ai le profond sentiment que je vais regretter ça, mais c’est d’accord.

— Ce n’est pas drôle, si on le regrette pas aussitôt passé, fit Zach d’un air sage.

Alanic fut surpris de les trouver sur le pas de sa porte, surprise qui se transforma rapidement en joie lorsqu’il vit ce que les adolescents lui avaient apporté.

— Je vous remercie pour ça, dit-il. Je dois avouer que j’étais un peu perturbé par la légèreté avec laquelle vous traitiez cette invasion, boucle temporelle ou non. C’est réconfortant de réaliser que vous fournissez vraiment des efforts afin de la combattre.

— Il est compliqué de rester outragé pour une chose que l’on a vécue en boucle pendant des années, lorsque tout recommence chaque moi, expliqua Zach. Mais nous n’avons pas pour habitude de l’ignorer.

— Souvenez-vous simplement de remplir un rapport similaire avec vos découvertes à la fin du mois, ajouta Zorian.

— C’est entendu, abonda Alanic. Que comptez-vous faire, maintenant ?

— Pour le reste de la journée ? Nous bourrer la gueule, trancha Zach aussitôt.

Ugh. Alors c’était ça, qu’il prévoyait… ?

— Après quoi, eh bien… continua-t-il. Je suppose que nous deux allons continuer notre quête du sort de simulacre. Je suis certain de l’avoir croisé quelque part, un jour… Je ne me souviens simplement plus où. Pourquoi ce sort est-il si rare, d’abord ?

Zach ne s’attendait probablement pas à obtenir une réponse à cette question rhétorique.

— C’est parce qu’il s’agit de l’une des principales étapes dans le processus visant à devenir une liche, expliqua froidement le prêtre. Si vous pouvez lancer ce sort, vous y êtes à moitié… Sans même mentionner que le sort lui-même est un cauchemar sans nom pour toute enquête criminelle. Quiconque est capable de le lancer est surveillé de près par la Guilde des Mages, à moins d’être vraiment copain-copains avec eux.

— Oh… Dans ce cas, ne dites à personne que vous savez lancer ce sort, c’est ce que vous voulez dire ? comprit Zach. Ouais, j’ai compris. Mais attendez, ça veut dire que je devrais chercher ce sort en premier lieu dans les repaires de liches et de nécromanciens…

— Oui ? répondit Alanic, avant de froncer les sourcils. Attends. Tu connais l’emplacement de groupes de nécromanciens et de sanctuaires de liches ? Juste… De combien de lieux parlons-nous, là ?

Quinze minutes plus tard, il fut décidé qu’Alanic les rejoindrait dans leur quête. Oh, et puis aussi que Zach allait s’asseoir et lui écrire la liste de tout ce qu’il savait sur les nécromanciens et les liches, les adorateurs de démons, les groupes d’esclavagistes et… et puis tous les criminels dont il se souvenait. Il avait oublié certaines informations, car contrairement à Zorian, il ne possédait pas de méthode lui garantissant une mémoire parfaite.

Zorian avait le sentiment que les notes du prêtre à la fin du mois n’allaient pas être si petites et éparses qu’elles l’avaient été jusqu’alors…

 

___

 

— C’est des conneries, se plaignit Zach, sa voix tremblant quelque peu après un certain nombre de verres d’alcool. Pas moyen que tu tiennes si bien l’alcool. Tu triches, c’est obligé. Tricheur.

Eh bien, il avait certainement raison à ce propos. En tout état de fait, Zorian utilisait ce truc que lui avait enseigné Haslush, longtemps auparavant, et transmutait en douce l’alcool en sucre. Mais pourquoi aurait-il été obligé de l’avouer ?

Il descendit simplement un verre d’eau sucrée de plus et offrit à Zach son plus beau sourire satisfait.

 

___

 

Dans la mer Ishekatara, un immense plan d’eau encapsulé de part et d’autre par deux prolongations du continent Altazian, mouillait un bateau pirate. Il y en avait quelques-uns dispersés sur la mer, en réalité, mais celui-ci était plus important que les autres, l’équipage presque entièrement composé de squelettes. Les seules créatures vivantes à son bord étaient une fratrie de trois frères, chacun adepte de la nécromancie à un certain degré.

Les Pirates Squelettiques, qu’ils se faisaient appeler par leurs victimes. Et ils avaient vécu une vie plutôt agréable jusqu’à ce jour. Les compagnies de transport en charge de la plupart des navires marchands étaient fameusement bon marché et emplissaient leurs navires de marchandises qui l’étaient tout autant, et du minimum d’hommes possible. Pendant ce temps, les tas d’os n’avaient besoin d’aucun salaire, pas plus que de sommeil ou de nourriture, et pouvaient être entassés comme des sardines sans qu’on n’entendît jamais quiconque se plaindre des conditions du voyage, sans jamais vomir par-dessus bord. Ainsi, quand l’équipage d’un navire marchand, qui ne possédait plus que la peau sur les os, rencontrait un équipage d’un navire pirate, qui ne possédait même plus la peau sur les os, le résultat était rarement remis en question. Les vivants étaient en sous-nombre et se reposaient le plus souvent sur des armes à feu, clairement peu efficaces contre leurs ennemis du moment.

Le seul point qui importait était l’approche et l’abordage. Arriver à portée des victimes avant que celles-ci ne pussent fuir ; mais le bateau des trois frères était spécial. La plupart de leurs pauvres victimes ne remarquaient même pas leur approche jusqu’à ce qu’il fût trop tard, et certaines abandonnaient leur navire sans même chercher à combattre, en réalisant ce à quoi elles faisaient face. Après quoi les pirates jetaient quelques tas d’os à la mer pour faire de la place pour le nouveau butin et allaient vendre le tout.

Malheureusement pour eux, leur existence confortable était sur le point d’arriver à sa fin. Les voiles du navire brûlaient, on pouvait apercevoir l’océan à travers plusieurs trous dans la coque traversant cette dernière de part en part, et les bruits de combats magiques résonnaient depuis la cale et les quartiers intérieurs. Cette fois, ils étaient les victimes d’un abordage.

Et à l’intérieur du bateau en question, Zorian combattait une horde de squelettes.

— C’est tellement stupide, se plaignit-il tout en donnait naissance à un rayon brûlant de force qui trancha la horde en approche au niveau des genoux.

Il avait appris à la dure que détruire leur tête leur importait assez peu et que s’il désirait les mettre hors de combat, il fallait leur sectionner les membres.

— Pourquoi suis-je le seul à combattre les ossements au lieu de m’en prendre aux mages vivants et vulnérables à la magie mentale ? continua-t-il sur sa mélopée. Zach et Alanic ont intérêt à avoir une bonne explication pour –

Le bâtiment fut secoué par une nouvelle explosion, mais Zorian colla télépathiquement ses pieds au sol, et parvint à garder l’équilibre. Les squelettes ne furent pas si chanceux, la plupart finissant les quatre fers en l’air, donnant à Zorian une opportunité parfaite pour en achever quelques-uns avant de bouger vers une position plus avantageuse.

Il devait malgré tout le rendre aux trois types qui contrôlaient le bateau : ils avaient placé quelques sacrément bonnes barrières magiques autour de celui-ci. S’il en fallait une preuve, il n’était toujours pas transformé en tas de cendres se dispersant dans l’océan. Bien que maintenant qu’il y pensait, ils alimentaient probablement ces sorts à l’aide des âmes de leurs ennemis tombés au combat, alors ce n’était sans doute pas si impressionnant que ça en avait l’air.

Ou peut-être que les squelettes servaient également de générateurs de mana, en plus d’être l’équipage recyclable du navire ? Il y avait une certaine beauté à se servir d’eux doublement de la sorte. Hmm…

Avant que la horde ne pût totalement récupérer et se jeter sur lui à nouveau, Zorian invoqua une masse de filins ectoplasmiques à ses côtés, et se mit à littéralement coudre les squelettes entre eux. Bientôt, la totalité ne fut plus qu’une masse informe d’os compressés, ressemblant plus à une balle qu’à quoi que ce fût d’autre. Zorian la traîna alors vers le hublot le plus proche et balança le tout à la mer sans autre forme de procès.

Il répéta alors la manœuvre face à d’autres groupes de morts-vivants çà et là sur le bateau. Maintenant, s’il avait raison, alors les barrières ne devaient pas tarder à –

Oh, et voilà. Elles faiblissaient déjà à vitesse grand V. Wow, ils n’avaient vraiment pas mis la moindre dose de mana personnel dans leur érection, une réserve d’urgence au cas où elles devaient venir à tomber ? Ou au moins, préparer un plan afin de les faire graduellement perdre leur énergie, au lieu de s’effondrer de la sorte ? Il retira son compliment précédent, c’était vraiment du travail d’amateur.

Il partit en direction du cœur du bâtiment, où se trouvaient Zach et Alanic, occupés à combattre les maîtres des lieux, et lorsqu’il arriva sur place, il découvrit que les festivités étaient déjà terminées.

— Pour un groupe supposément facile à décimer, il vous a vraiment fallu un sacré bout de temps pour en venir à bout, commenta Zorian tout en s’approchant.

— Je suppose que tu es à l’origine de la chute des barrières magiques ? tenta Alanic en tapotant un coffre proche à l’aide de son bâton afin de déclencher un piège électrique, et Zorian acquiesça en le regardant faire. Merci pour ça. Ils étaient vraiment embêtants. Je n’avais pas combattu dans un endroit qui réprime la magie du feu si fermement depuis sacrément longtemps.

— Je suis désolé, je ne les avais pas combattus depuis très longtemps, et j’avais oublié la présence de ces barrières, ajouta Zach en se frappant la tête nerveusement. Après un moment, je m’étais contenté de juste faire couler le navire entier au lieu de combattre l’équipage, alors mon souvenir sur la facilité du combat a peut-être été un poil à côté de la plaque.

En entendant ça, Zorian perdit presque tout espoir de voir la cargaison du bateau contenir ce après quoi ils en avaient. Pourtant, afin de réellement se montrer zélé, il joignit tout de même Zach et Alanic et se mit à fouiller méticuleusement tout ce que contenaient les cales. Même si le sort recherché n’était pas là, il pouvait y avoir autre chose… Au bout d’un moment…

— J’ai trouvé ! s’écria Zach, levant au-dessus de sa tête une boîte à parchemin noire.

— Quoi, les pirates possédaient le sort de simulacre ? demanda Zorian, incrédule.

— Ouaip, c’est exactement ça. Je m’en souviens très bien, parce que l’écrin du parchemin en détruisait le contenu à chaque fois que j’essayais de l’ouvrir, et c’était très irritant. J’ai finalement réussi à atteindre le sort intact, et il s’est avéré qu’il s’agissait du sort de simulacre. Merde, j’étais tellement en colère…

Zorian observa la boîte pendant un instant avant de faire signe à Zach de l’ouvrir. À sa grande surprise, celui-ci ne s’embêta pas à défaire les défenses magiques via une méthode propre – au lieu de quoi il envoya simplement une pulsion magique dans l’objet, le forçant à tomber en miettes, comme s’il venait d’être déchiqueté par des milliers de petites lames.

Bon… C’était sans doute un moyen comme un autre de défaire le mécanisme magique…

— Puis-je ? intervint Alanic en tendant la main vers le morceau de cuir enroulé que Zach avait désormais en main.

Zach échangea un regard avec son ami, qui haussa les épaules sans trop y donner plus de réflexion. Le parchemin arriva entre les mains du prêtre, qui le déroula et en analysa le contenu.

— C’est authentique, finit-il par annoncer. Certaines des versions sont incomplètes ou même dangereuses, faites pour tromper le mage inconscient, mais celui-ci me semble être parfaitement légitime.

Huh. Zorian dut bien admettre qu’il n’avait même pas considéré la possibilité. Il savait que certains des sorts qu’on pouvait trouver étaient en réalité des pièges, ou simplement des faux, mais il s’agissait rarement d’un problème, spécialement si l’on se montrait toujours prudent quant à ses sources. Il supposa que pour des sorts aussi limités et illégaux que celui-là, le pourcentage de contrefaçons était bien plus élevé que la moyenne, en effet. En particulier lorsqu’on mettait la main sur un mystérieux parchemin au milieu de nulle part plutôt que d’un livre officiellement publié.

Alanic tendit le précieux à Zorian, qui le parcourut du regard.

Le Simulacre, comme Zorian le savait, créait une copie ectoplasmique du lanceur de sort. La copie était parfaitement autonome, pouvait penser et agir selon son propre jugement, et même lancer ses propres sorts. Cependant, elle ne possédait ni âme ni réserves de mana personnelles. Au lieu de ça, toutes deux étaient partagées avec le lanceur, ce qui signifiait que mis à part le coût initial en mana ainsi que le coût de maintien du sort, le lanceur devait également payer pour chaque sort que le simulacre décidait de lancer.

Il l’expliqua à Zach, qui avait lu la description un beau jour avant de l’oublier tout aussi prestement.

— C’est toujours pratique, remarqua Zorian. Créer une copie de moi-même afin de m’aider dans les tâches les plus physiques serait infiniment utile. Mais en effet, ça l’est moins que ce que j’imaginais au départ.

— Ouais, c’est plutôt décevant, lâcha Zach. C’est bien si on a besoin d’un leurre ou d’un travailleur manuel supplémentaire, mais je ne pense pas que je l’utiliserais vraiment en combat.

— Je n’en serais pas si sûr, corrigea Zorian. Bien sûr, je ne tenterais pas de lancer de multiples boules de feu en compagnie du simulacre, ou quoi que ce soit, mais mes capacités télépathiques possèdent un coût de mana plutôt bas. Et elles sont une attaque d’ouverture bien plus efficace que n’importe quel autre outil, dans un combat, alors il serait malgré tout intéressant de pouvoir lancer deux fois plus d’attaques télépathiques quand je veux me lancer dans une bataille. Double Zorian, double magie mentale.

— Comme si tes tours de passe-passe télépathiques n’étaient pas assez terrifiants comme ça, déjà… se plaignit Zach.

— Vous devez garder deux choses à l’esprit, lâcha Alanic comme un cheveu sur la soupe. La première, aucun simulacre n’est une copie parfaite du lanceur. Spécialement au début, les copies sont condamnées à n’être qu’une version très dégradée, et ne possédant pas les compétences du lanceur dans leur totalité. En même temps que votre maîtrise du sort augmentera, la qualité du simulacre fera de même… Mais au bout du compte, c’est simplement un reflet, pas une copie parfaite, quoi qu’il arrive. Et ça devient évident lorsqu’on la laisse vivre pendant une longue période. Je vous recommande fortement de ne pas les laisser exister pendant plus d’une journée, ou ils pourraient commencer à développer leur propre personnalité et même comploter contre vous. Des gens se sont fait tuer par leur simulacre, par le passé. Et toi, Zorian, prenant en compte que ta copie sera un expert en magie mentale…

— Ouais, je vois le genre, le coupa Zorian en grimaçant légèrement. Ne pas laisser la bête libre pendant trop longtemps où elle pourrait décider de réécrire mes souvenirs pour inverser nos rôles, ou quelque chose du genre.

— Oui, acquiesça Alanic. C’est exactement ce qui me fait peur. La copie ne sera jamais parfaite et ne pourra pas donner le change bien longtemps, mais cela ne l’empêchera pas d’essayer, et le mal sera fait. La deuxième chose qu’il ne faut pas oublier… Tandis qu’un simulacre n’est pas identique au lanceur sous tous les angles, c’est une réplique quasi-totale. Par exemple, certaines personnes réagissent très mal au fait de savoir qu’ils sont une copie éphémère, et leur simulacre pète les plombs, aussitôt créé. Je ne pense pas que ce sera un souci pour vous deux, vu la nature de la boucle temporelle, mais c’est une chose à toujours garder à l’esprit si vous décidez d’enseigner ce sort à quelqu’un. De même, si vous n’aimez pas faire quelque chose, le simulacre n’aimera pas plus… alors je vous déconseille de lui forcer la main en lui imposant des tâches que vous refusez d’exécuter. Ce qui signifie que si vous n’êtes pas capable de sacrifier votre vie pour quelqu’un, votre simulacre ne le fera pas non plus pour vous.

En d’autres termes, ce n’était pas un esclave personnel et n’obéirait qu’aux ordres que Zorian lui-même accepterait de suivre. Reçu cinq sur cinq.

Après quelques avertissements supplémentaires de la part du prêtre, tous trois quittèrent le bateau en feu et retournèrent à Eldemar. Les pirates squelettes n’allaient plus jamais harceler quiconque.

 

___

 

Zach et Zorian passèrent le reste du mois à attaquer les cultistes de Cyoria, parfois même quelques endroits éloignés dont Zach se souvenait tout à coup. Comme ils avaient déjà trouvé le sort qu’ils cherchaient, leurs excursions étaient vraiment accessoires, mais ils avaient décidé de continuer nonobstant. Zorian, car il voulait accumuler de l’expérience de combat et s’intéressait aux trésors que Zach avait toujours trouvés inutiles, et Zach parce qu’il trouvait marrant de se battre. Alanic les rejoignait souvent, lui aussi, bien que l’itération touchant graduellement à sa fin, il devint bien plus occupé par sa propre enquête sur les envahisseurs. Xvim se vit également offrir une place dans leur groupe, qu’il déclina sous prétexte de son âge trop avancé pour ce genre de facéties.

Quatre jour après que Zach et Zorian eurent quitté la chambre noire, le centre de recherche explosa virtuellement en une panique générale. Il leur avait fallu quatre jours, mais ils avaient finalement réalité que quelque chose clochait dans la façon dont les deux voyageurs temporels avaient utilisé la chambre. Bien sûr, tous deux étaient déjà loin depuis belle lurette et les scientifiques ne pouvaient plus rien y faire, mais malgré tout, Zorian se renseigna sur ce problème pour comprendre ce qu’ils avaient fait de travers, et s’amusa de constater qu’ils n’avaient jamais envoyé de rapport final au département gouvernemental correspondant. Apparemment, chaque groupe utilisant l’artefact devait remplir des papiers en trois exemplaires pour expliquer en détail la façon dont ils avaient agi, et ce qu’ils en avaient gagné. Comme Zach et Zorian ne s’en étaient jamais donné la peine, l’assistant en charge de la réception des papiers avait fini par se plaindre au personnel du centre, qui avait alors ouvert une enquête. S’ils avaient simplement envoyé ce stupide papier, il y avait fort à parier que personne ne l’aurait lu de tout le mois, et que rien ne serait arrivé. Personne ne lisait jamais ce genre de trucs.

Trois jours avant la fin, Zach et Zorian mirent finalement leur plan à exécution. Ils le mettaient au point depuis le début de l’itération, après tout – ils pénétrèrent dans le Palais Royal d’Eldemar, infiltrant sournoisement les lieux pour commencer, avant de simplement exploser leur chemin à l’intérieur, une fois qu’ils furent découverts.

Ils parvinrent à parcourir les deux tiers du chemin avant que les défenses du palais ne les forcent à fuir sous le nombre et la pression, mais même cette escapade avortée leur apprit des choses très importantes.

En premier lieu, le trésor royal possédait bel et bien une clé. La dague, si Zorian interprétait correctement ce que lui disait son marqueur. Ils allaient, quoi qu’il arrivât, devoir trouver un moyen de pénétrer dans la chambre du trésor s’ils désiraient assembler les cinq clés.

Deuxièmement, leur action avait provoqué une réaction incroyablement outragée. Les gardes du palais les poursuivirent pendant des heures après leur échappée, n’abandonnant que lorsque les fuyards eurent décidé de descendre dans les profondeurs du donjon afin de les semer. Et même alors, ils n’eurent droit qu’à quelques heures de paix, durant lesquelles le gouvernement avait apparemment organisé une chasse à l’Homme complexe visant à les retrouver.

Et ça faisait déjà trois jours. Ça n’avait pas cessé. Tous les journaux, toutes les conversations, tout ne parlait que de l’attentat raté du Palais Royal, et il y avait apparemment une prime gigantesque placée sur leur tête. C’était clairement une vaste blague, la Couronne Royale ne sachant rien à leur propos, les affiches placardées un peu partout n’affichaient pas de portait et uniquement des descriptions vagues. Zach et Zorian remercièrent les dieux en silence d’être tous deux des experts en magie anti-divination, et se servirent à outrance des robes rouges volées aux cultistes pour masquer leur identité de façon magique.

Malgré tout et bien que les autorités ne connussent pas leurs identités, ils possédaient clairement des méthodes pour pister ces deux criminels ayant tenté d’attaquer le Palais Royal, fait prouvé par leur incessante manie de toujours revenir à la charge. Les voyageurs temporels n’avaient d’autre choix que d’être toujours en mouvement, la plus longue période qu’ils eurent à disposition pour se reposer et se calmer n’excédant pas six heures. C’était frustrant, et particulièrement parce qu’aucun d’eux ne pouvait comprendre comment leurs poursuivants parvenaient à les retrouver à chaque fois.

— Tu vois, j’avais complètement raison, nous devions attendre la fin du mois pour tenter ! lui affirma Zach tandis qu’ils couraient vers une petite forêt toute proche, la robe rouge qu’il portait distordant sa voix d’une façon presque spectrale.

— Et alors ? Je n’ai jamais dit que tu avais eu tort ! lui répondit Zorian, la voix changée de la même façon.

Avant qu’ils pussent ajouter quoi que ce fût, un grincement à faire saigner les oreilles résonna au-dessus de leurs têtes, rapidement suivi d’un autre. Zorian n’eut pas besoin de lever la tête pour savoir que deux aigles couronnés géants en avaient après eux, et que chacun d’eux était monté par un mage de la Couronne Royale. Ce groupe trois fois damné était vraiment incroyablement ennuyeux à toujours répondre à chacun de leurs mouvements, coupant leurs routes de retrait et faisant capoter certains de leurs sorts pour que le reste des poursuivants pussent les rattraper. Malheureusement, les aigles étaient rapides et agiles dans les airs, et les mages de combat qui les chevauchaient faisaient partie de l’élite, alors s’en débarrasser avant d’être attrapé était virtuellement impossible. Zach et Zorian ne tentaient même plus de les affronter – c’était du temps perdu qu’ils pouvaient utiliser pour fuir.

— Je ne pense pas qu’on puisse continuer comme ça encore longtemps ! décida Zach tandis qu’il parait une espèce de projectile multicolore électrique en direction d’un buisson proche, ce qui fit immédiatement exploser ce dernier. Combien de temps ?

Zorian jeta un œil vers Cyoria, qui dominait l’horizon. Même s’il pouvait sembler à leurs poursuivants qu’ils fuyaient dans des directions aléatoires, ils avaient en réalité été attirés en ces lieux. La fin de l’itération était proche, et l’invasion sur le point de commencer…

— Je pense que ça va comm –

Avant que Zorian ne pût en dire plus, de nombreux sorts d’artillerie illuminèrent le ciel depuis les collines entourant la ville. L’invasion avait officiellement démarré.

Zorian grommela, mécontent. Saloperie de réalité qui ruinait sans arrêt son entrée dramatique.

— Peu importe, ça a commencé ! cria-t-il.

— Ouais, merci beaucoup, répondit Zach sur un ton sarcastique. Je n’aurais jamais remarqué si tu ne me l’avais pas dit.

Ce à quoi Zorian ne répondit pas, mais se contenta de se rapprocher de son compagnon. Immédiatement, Zach termina son incantation et tous deux furent enveloppés d’une sphère blanche semi-transparente qui s’élança dans les airs comme une balle de fusil.

Les aigles étaient apparemment assez rapides pour suivre la sphère, ce qui surprit Zorian sans doute plus que ça n’aurait dû. Pourtant, tous deux possédaient désormais toute une armée d’envahisseurs surpris en guise de mur de protection – contre leur gré, mais qu’importait – et la sphère se précipita vers le plus grand groupe de Becs de Fer à proximité, explosant une partie au passage et énervant passablement le reste.

Malheureusement pour les poursuivants, des Becs de Fer furieux ne sont pas très regardants concernant leur choix de cibles. En particulier quand une cible était visiblement bien plus vulnérable que l’autre et arrivait dans leur direction, tandis que l’autre fuyait. Toute la scène suggérait que tous deux travaillaient ensemble et que les poursuivants allaient eux aussi attaquer leur essaim.

Zach et Zorian ne restèrent pas pour observer le spectacle – Zach dirigea la sphère vers un bâtiment proche contre lequel il s’écrasa et passa à travers le mur, ce qui les mit largement à l’abri des autres groupes de Becs de Fer qui arpentaient le ciel à la recherche de l’une des deux cibles, l’une s’avérant être bien plus alléchante dans les airs que l’autre, cachée. Aussi, une fois débarrassés des quelques oiseaux qui les avaient suivis, ils quittèrent simplement la zone en se téléportant à répétition dans diverses parties de la ville.

En vérité, Zorian s’était attendu à devoir passer la nuit entière à mener leurs poursuivants à travers toute une série de conflits avec les envahisseurs. Pas parce qu’ils espéraient en tirer quoi que ce fût, mais simplement parce qu’ils avaient reconnu l’entêtement des mages de la Couronne. Cependant, il semblait désormais qu’ils avaient surestimé leurs adversaires, car une fois les mages traînés au combat avec le troisième groupe d’Ibasiens de la soirée, ils abandonnèrent, réalisant l’ampleur de ce qu’il se passait à Cyoria.

Avoir fait la connaissance de Quatach-Ichl durant cette troisième confrontation et avoir perdu leurs deux aigles en quelques secondes avait fort probablement eu quelque chose à voir avec leur décision.

Actuellement, Zach et Zorian étaient assis sur le toit du plus haut bâtiment de l’Académie, et observaient les combats.

— Ouah, s’exclama Zach. Tu sais, ces mages qui nous chassaient sont plutôt impressionnants lorsqu’ils combattent.

— Ouais, confirma Zorian.

— Alors, on fait quoi, maintenant ? demanda Zach. On reste assis et on regarder le monde brûler pendant quelques heures, en attendant la fin ?

— Non, décida immédiatement Zorian en secouant la tête. J’ai une bien meilleure idée. Allons dévaliser la bibliothèque de l’Académie.

Zach le regarda d’un air amusé, levant même un sourcil.

— Je suis sérieux, reprit Zorian. Je sais qu’il n’y a probablement rien de très important là-bas, mais je me suis toujours demandé quels genres de sorts ils conservaient dans les sections les plus restreintes, dans lesquelles je n’ai jamais eu le droit de mettre les pieds.

— C’est… un très bon argument, nota Zach. Je ne peux pas croire que je n’ai jamais tenté ça moi-même ! Au minimum, juste pour pouvoir dire que je l’ai fait !

Ainsi, pendant quelques heures, Zach et Zorian semèrent le chaos dans la bibliothèque de l’Académie. Tandis que les envahisseurs étaient occupés avec les défenseurs de la ville et que tous livraient des combats amers, tous deux cherchaient en paix des textes interdits, restreints et secrets, peu dérangés par les libraires et autres systèmes de sécurité, les gardes ayant depuis longtemps quitté le bâtiment pour aller combattre dehors.

Lorsque l’itération arriva finalement à sa fin et que tout devint noir, la seule pensée de Zorian alla vers le livre qu’il était en train de lire et qu’il n’avait pas fini…

…et que, bordel, ce n’était clairement pas la dernière fois qu’ils allaient faire ça.

Raka
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8 thoughts on “MoL : Chapitre 62

  1. Merci pour ce chapitre, ne t’inquiète pas, l’attente ne rend la lecture que plus délicieuse !

    Sinon tu as une petite erreur de prénom là 😉 :

    « Zorian lui répondit par une grimace avant de soudain prendre un air pensif. Il continua à observer Zorian pendant quelques secondes, faisant monter un sentiment de malaise. »

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