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Chapitre 77 – Le donjon imprenable (7)

 

— …perd sa capacité à revenir à la vie ?

Ce que je venais d’entendre me sidérait. Je m’attendais à des tas d’explications potentielles, mais pas à ça.

Une créature ne pouvait plus ressusciter une fois un certain niveau dépassé ? Je n’avais jamais rien entendu de tel. Même FeiLong, qui possédait tout de même trois étoiles, n’avait jamais abordé ce sujet. Peut-être l’ignorait-il, simplement ? Ou alors… Étais-je encore trop faible pour mériter qu’on aborde le sujet avec moi, n’étant pas concernée pour le moment ?

Je ne savais pas s’il avait déjà tué des créatures à quatre étoiles, mais si ce que j’avais entendu était vrai, alors ça ne devait pas arriver très souvent. Peut-être n’en avait-il même jamais affrontée au cours des centaines d’années durant lesquelles il était à Imperos.

Donc, la logique me dictait qu’un monstre à trois étoiles pouvait réapparaitre, alors qu’un monstre à quatre étoiles mourrait définitivement. Si je ne me trompais pas, c’était logique. Il restait que les Architectes avaient peur de la mort, et ils devaient définitivement savoir quelque chose sur le sujet.

Soudain, mon esprit fit tilt, et quelque chose me revint.

J’ouvris rapidement ma page de statut pour confirmer la présence d’une simple ligne de texte.

[Créature – Architecte] [Classe : Paladin]

C’était ce qu’il me semblait. J’étais bien considérée, comme tous les architectes sans doute, comme une créature. Le système était un gros enfoiré.

Mais ce n’était pas si grave. Après tout, il n’existait pas d’architecte ou d’explorateur possédant quatre étoiles ; le fait que je perde ma capacité à revenir à la vie était déjà sujette au doute, mais si je ne pouvais de toute façon pas dépasser les trois étoiles sans me faire déifier au passage, alors je n’avais rien à craindre.

— Je vois… Donc, si ton peuple se fait exterminer, c’en est fini de lui ? demandai-je.

Il hocha la tête fermement.

— Oui. Les créatures aussi puissantes que nous sont incapables de se reproduire, vois-tu. Nous possédons l’immortalité et ne pouvons pas mourir de vieillesse mais une blessure fatale est toujours envisageable. Aussi devons-nous faire très attention à ce que nous faisons.

— Faire attention ? Comment ?

— Par exemple, expliqua-t-il, nous n’irons jamais nous aventurer dans des contrées où nous pourrions nous trouver en danger. Sur le territoire de monstres puissants, notamment. Nous sommes isolationnistes, et souhaitons rester dans notre village, à défendre nos cultures et nos connaissances, tout en entretenant le moins de contact possible avec l’extérieur.

Alors c’était pour ça qu’ils n’avaient jamais attaqué Imperos. Même s’ils pouvaient sans doute raser la ville, ils subiraient tout de même des pertes, et ils refusaient de le concevoir. De plus, il disait vrai. Lorsque je me trouvais au milieu de ces géants, je les voyais comme des êtres pacifistes, qui ne souhaitaient pas la guerre et le combat, et qui possédaient simplement cet étrange instinct sadique lorsqu’il s’agissait de dissuader les architectes de venir leur « voler » leurs trésors.

— Bien. Je vois. Dis-moi, j’ai une autre question, enchaînai-je directement.

— Bien sûr, Grande Déesse, se répéta-t-il.

— Toi qui connais ce monde, décris-moi ce qu’il y a au-delà. Où finissent les rivières ? Les mers ? Qu’existe-t-il hors de ce monde ? En-dessous ? Au-dessus des nuages ?

Il sembla pris au dépourvu par ma question. Complètement perdu, même. Comme si je venais de lui demander quelle était la taille de l’univers, ou quel était le sens de la vie, il ne savait plus quoi répondre.

— Euh… Eh bien, je… Eh… balbutia-t-il.

— Bah alors ? Réponds à ma question.

Il ouvrit la bouche à plusieurs reprises, mais fut incapable de sortir le moindre son. Avais-je mis le doigt sur une chose qu’ils ne connaissaient pas ? Ou bien… Le système leur interdisait-il d’en parler, ou même de se poser ce genre de question ?

Cependant, je voulais savoir.

— Allez, insistai-je, réponds à la question.

— Je… Je ne sais pas.

Il ne savait pas ? Comment ça, il ne savait pas ?

— Comment ça, tu ne sais pas ? m’étonnai-je.

— Personne ne le sait. Personne ne peut le savoir. Il existe une loi universelle et naturelle qui empêche quiconque de savoir.

Une loi ? Une loi comme la gravité ou le temps qui passe ? Je pouvais comprendre que celui qui était à l’origine de tout le système ait mis une telle chose en place, oui. Mais… c’était sans compter sur Qian Wuying.

Ce genre de loi pouvait être altéré par la magie. Je l’avais déjà appris. Je savais voler, je savais faire des choses que la physique et la logique ne pouvaient pas admettre. Alors… Ma curiosité prit encore une fois le dessus, malgré tout et contre tout bon sens.

Laissant là le géant incrédule, je me précipitai à nouveau en direction de la hutte de Pythagore. En entrant, je m’écriai sans attendre :

— Arrête tout !

Il se retourna vers moi, s’éveillant soudain au monde alors qu’il était plongé dans ses travaux.

— Hein ? Que… Mais j’ai à peine commencé, pourtant ?

— Il faut que je te le dise avant que j’oublie ! Je veux un sort bien particulier ! lui expliquai-je. Je veux savoir ce qui existe au-delà du monde ! Il parait qu’il existe une loi…

— …une loi qui interdit à quiconque d’apprendre ce qu’il en est, n’est-ce pas ? Même si quelqu’un venait à le découvrir, il oublierait instantanément.

— Oui ! C’est de ça que je parle ! confirmai-je avec entrain.

— Oh… Je vois. Je vais te répondre tout de suite, alors. Ce dont tu parles a été tenté des centaines, des milliers de fois. Un tel sort ne peut exister. La loi elle-même empêche un quelconque sort de ce genre d’exister. C’est purement impossible. Pour pouvoir créer le sort qui permette de plier cette loi, il faudrait pouvoir d’abord plier cette loi.

Une phrase. Il lui fallut une seule phrase pour briser mes rêves et espoirs. Perdant mon entrain et mon sourire, je baissai les épaules en me rendant compte que je n’avais pas la possibilité de briser un cycle pareil.

— Le serpent qui se mord la queue, hein… soupirai-je.

Sur ce, il retourna à son travail sur mon sort. Je ne savais toujours pas ce qu’il cherchait à faire et pour me consoler de ne pas avoir pu assouvir ma curiosité légendaire, je lui posai directement la question.

— Alors, tu as décidé d’aborder ce problème sous un angle particulier ?

Il ne releva pas la tête et me répondit, concentré dans son travail :

— Je cherche. Tu ne vas pas venir toutes les dix minutes pour me poser la question, n’est-ce pas ?

— Hmm… Non, me résignai-je tout bas.

Et sur ces bons mots de résignation, je sortis de sa hutte, décidée à le laisser travailler.

 

***

 

Je passai ainsi toute la semaine dans le camp des géants, me refusant catégoriquement tout contact, même mental, avec mon donjon, Friderik ou Albion. J’étais prête à subir une fois de plus les conséquences physiques et mentales d’une période d’isolation prolongée, je n’avais pas le choix et je le savais. Je ne pouvais pas me permettre de prendre le moindre risque.

Je ne pensais pas rester aussi longtemps mais ils étaient vraiment aux petits soins avec moi, et ça faisait un bail que je ne m’étais pas faite traiter de la sorte. Sans doute même était-ce la première fois et à force d’en profiter, la semaine s’était écoulée. Le matin se levait et il ne restait que quelques heures avant que je ne doive me rendre chez le grand type de l’administration.

Et toujours aucune nouvelle de Pythagore.

— A-t-il oublié ? Est-il perdu dans le vin ? Merde, j’aurais dû aller voir plus tôt et ne pas lui faire confiance aveuglément.

Je me rendis dans sa hutte, où je le trouvai encore endormi. Sans pitié, je m’approchai et le secouai pour lui faire ouvrir les yeux.

— H… Hein ?! Quoi ?!! Qu’est-ce… Argh ! …se passe ?! Reviens ici tout de suite, voleur de vin !

Il regarda autour de lui, un peu perdu, avant de machinalement se saisir d’un gobelet de vin posé sur une petite table non loin et de le vider d’un trait.

— Pfouah. Quel cauchemar… marmonna-t-il les yeux perdus dans le vide, et dire que j’avais perdu tout ce bon vin pour toujours…

Je le regardai, un peu perplexe. Alors comme ça, il faisait même des cauchemars ? Moi qui pensais que le sommeil d’un architecte était de plomb. Je ne rêvais pas, pour ma part. Je fermais les yeux, et les rouvrais simplement le matin, comme si mon corps était en veille entre temps.

C’était peut-être un effet secondaire du vin et de l’état de dépendance et d’ébriété qu’il induisait.

— Pythagore ? chuchotai-je pour le ramener à la raison.

— Hmm ? Oh, Wuying ? Tu étais là. Désolé.

— As-tu terminé dans tes recherches concernant ce dont nous avons parlé ?

Concise, directe, efficace. Wuying dans toute sa splendeur.

— Eh bien, je… j’ai bien quelque chose, balbutia-t-il, mais… je suis à peu près certain qu’il y aura des effets secondaires plutôt vilains.

— Hm ? Explique-toi.

— J’ai créé un sort te permettant de remplacer celui qui est implanté en toi par un autre, en tous points identique mais avec le contenu de ton choix. Par contre, …tu devras sans doute perdre la mémoire par la suite.

— Perdre la mémoire ?

Si je devais souffrir d’une petite amnésie, ça valait définitivement le coup. Je pourrais tout de même remplacer ce que j’avais dans la tête.

Et le plan était parfait.

Je m’étais faite enlever par un monstre puissant qui pratiquait la sorcellerie. Il avait créé des souvenirs improbables dans ma tête pour masquer ce qu’il s’était réellement passé. Puis, après ma visite au bâtiment de la Justice, il était revenu me chercher, se doutant que quelque chose n’allait pas et apeuré qu’on fouille dans ma tête et qu’on retrouve malgré tout sa trace. Ayant toujours besoin d’effectuer des tests sur moi, il avait alors cherché à détruire ce sort d’enregistrement, en vain bien entendu. S’énervant alors, il sacrifia des dizaines et des dizaines de monstres moins puissants afin de pratiquer une magie ténébreuse pour arriver à ses fins, et par un mystère dont je n’avais pas l’explication, me fournit une quantité exceptionnelle de crédits par la même occasion.

— Je suis géniale. Avec ça, il n’y verra que du feu. Qu’est-ce donc qu’une petite perte de mémoire, comparée à la génialitude de ce plan ?

— Petite ? me corrigea Pythagore, non… Wuying, on parle de plusieurs dizaines d’années. Tu oublieras même qui tu as été dans ta vie précédente. Et crois-moi, un tel effet secondaire est probablement définitif.

D’un seul coup et en quelques mots, mon plan absolument parfait et parfaitement absolu tomba à l’eau, brisé en une multitude de minuscules morceaux qui se firent engloutirent par des profondeurs abyssales et infinies d’un trou noir lointain et inaccessible. Il avait le chic pour détruire mes rêves et espoirs ! Je ne pouvais même pas me raccrocher à quoi que ce fut, pour la simple et bonne raison qu’il était impossible que j’accepte une perte de mémoire définitive de plusieurs dizaines d’années, peu importait les bénéfices associés.

À ce rythme-là, j’avais autant accepter de me faire bannir, en espérant que c’était ce qu’il comptait me faire de pire.

— Non… Non, Pythagore, je ne peux pas. Tu es fou.

— Hah. Je m’en doutais, ricana-t-il.

— Et tu l’as tout de même fait.

— Oui. Mais je ne m’en suis rendu compte qu’à la toute fin. Désolé pour ça. Par contre…

Ces deux derniers mots éveillèrent une faible lueur d’espoir dans mon cœur meurtri.

— …Par contre ?

Il m’adressa un sourire.

— J’ai un peu réfléchi à ton problème, et ce n’est pas forcément la façon dont il faut l’aborder.

— Oh ?

Là, il m’intéressait. Après tout, je n’avais plus rien à perdre. Je sentais au fond de moi que le sort que j’avais en moi pour la semaine était capable de me convoquer en me téléportant directement devant mon futur juge et juré. Je ne pourrais même pas lutter, le moment venu.

— Je le connais, à force, ce type, continua Pythagore. Tu sais, les gens gérés par le système sont entourés de mystère mais à force, on finit par en apprendre, des choses. Et je sais de source sûre que ce que tu pourrais faire aujourd’hui peut fonctionner. Ceci dit… Es-tu prête à prendre un risque énorme et te rebeller contre le système ?

Fronçant les sourcils, je lui en voulus un peu de ne toujours pas avoir compris que je n’avais plus le choix.

— Évidemment, rétorquai-je froidement.

— Alors prends ce sort-ci. Une fois face à lui, il te suffira d’un seul regard pour te téléporter et l’emmener avec toi.

— Me tél… Oh. Et pour aller où ?

Finalement, ce n’était peut-être pas une bonne solution. Le téléporter ailleurs que dans son petit bâtiment adoré aurait-il vraiment une quelconque utilité ?

— Ah, mais mon amie, tu vas l’amener ici.

— Ici ?

Je commençais à comprendre.

— Je crois que je connais un type qui va avoir une petite discussion avec toute une troupe de monstres à quatre étoiles m’obéissant au doigt et à l’œil. Il ne me reste qu’à parier qu’il n’ait pas autant de pouvoir ici qu’il n’en a à Imperos.

— Hmm, me sourit Pythagore de manière sarcastique, quelque chose me dit que tu ne devrais pas t’en faire pour ça.

Raka
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13 thoughts on “DMS : Chapitre 77

  1. Vraiment bien ce chapitre ! Ce Novel aussi d’ailleurs ! Je regretterai presque que ça ne sorte que le weekend ou de l’avoir découvert aussi tôt ! 🙂
    En tous cas, merci à toi et continue comme ça, c’est vraiment bien 🙂

  2. Merci pour le chapitre ^^
    J’ai une question : Est-ce qu’elle peut tuer un géant pour pouvoir l’invoquer dans son donjon (ou un futur donjon)? Genre elle en accuse un de l’avoir agressée du coup les autres sont pas content, elle le condamne a mort, lui porte le coup final et hop le tour est joué.

    1. Bien sûr que c’est possible. Techniquement.
      Réellement, prendre le risque que quoi que ce soit ne fonctionne pas comme prévu ?
      – Et si les géants sont convaincus que ce n’est pas possible ?
      – Et s’ils refusent de tuer leur frère, disant que c’est à elle de le faire ?
      – Et si… ?
      Elle risque de perdre le peu qui lui reste dans ce monde.

      1. Ah ouais effectivement :/
        Bon du coup j’ai une autre question : On sait que les PNJ sont reliés entre eux, mais du coup ils sauront quand et comment l’un d’entre eux meurt. Et si il meurt, il ne risque pas de respawn vu qu’ils est presque indispensable pour la gestion de la ville ?

  3. Je la sens pas cette histoire sa vas finir mâle d’une façon ou d’une autre tout sa. Elle et ses plans à l’arrache me font toujours peurs.

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